Horoscopes
J’ai le plaisir de partager avec vous un conte inspirant de François Delivré et Hélène Reuss, sa compagne disparue. Belle découverte à vous 🙂
(La scène se passe près des Galeries Lafayette aux abords du nouvel an)
Le marchand hèle les passants
– Horoscopes ! Calendriers ! Horoscopes !
Une dame s’approche
– Des horoscopes pour la nouvelle année ?
– Oui madame
– Croyez-vous donc qu’elle sera heureuse, cette nouvelle année ?
– Bien sûr madame
– Autant que l’année qui se termine ?
– Beaucoup plus, madame, beaucoup plus !
– Comme les années que nous venons de vivre ? Monsieur le vendeur d’horoscopes et de calendriers, aimeriez-vous que cette nouvelle année soit comme n’importe laquelle des dix dernières années ?
– Non, madame, je n’aimerais pas
– Depuis combien de temps vendez-vous des horoscopes et des calendriers ?
– Cela va faire vingt ans, madame
– Mais alors, à laquelle de ces vingt années voudriez-vous que ressemble la nouvelle année ?
– Je ne sais pas. Aucune, je crois.
– Vous ne vous souvenez pas d’une année tellement heureuse que vous voudriez que cette nouvelle année lui ressemble ?
– Non, madame, je vous assure.
– Et pourtant, vous avez dû vivre de belles choses en vingt ans. Et même de toute votre vie ! Vous ne voudriez pas revivre ces vingt années ? Tous les plaisirs et toutes les peines, ni plus ni moins ?
– Oh non, madame, je ne voudrais pas.
– Et toute votre vie vous ne voudriez pas ?
– Non, madame, je ne voudrais pas.
– Mais alors, que voudriez-vous revivre comme vie ? La mienne ? Celle d’un héros ? Celle d’un prince ? Celle d’une star ?
– Aucune. Recommencer une vie connue, personne n’aimerait.
– Donc, monsieur, vous ne recommenceriez pas une vie, quelle qu’elle soit ?
– Non vraiment, je ne recommençais pas une vie, quelle qu’elle soit
– Mais alors, monsieur, quelle vie voudriez-vous ?
– Je voudrais une vie comme Dieu va l’apporter, sans autre condition.
– Une vie dont vous ne sauriez rien d’avance, monsieur le marchand ? Une vie comme l’année qui vient et où personne ne sait rien qui va arriver, joie ou peine ?
– Oui madame, c’est exactement ce que je voudrais. Parce que la belle vie, ce n’est pas celle qu’on connaît, mais celle qu’on ne connaît pas. Ce n’est pas la vie passée mais la vie inconnue qui vient chaque jour. L’année prochaine, je voudrais commencer une vie comme vous, une aventure.
– Mais alors, monsieur le marchand, comment se fait-il que vous trouviez plus belle la vie que l’on ne connaît pas et que vous vendiez des horoscopes, des prédictions que vous ne voulez pas connaître ou alors qui ne se réaliseront pas ? Vous n’êtes pas logique, ou alors vous êtes un menteur.
– C’est vrai, je n’y avais pas pensé. Je ferais mieux de vendre des points de repères, quelque chose de sûr.
– Peut-être, mais j’aimerais encore mieux de l’inconnu qui se dévoile dans des rêves. Monsieur le marchand, apprenez nous à rêver !
– Oh oui ! Comme ma vie va changer ! Calendriers nouveaux, ! Ciels étoilés ! Écharpes de brume ! Arcs en ciel ! Couchers de soleil ! Contes et histoires ! Pochettes d’amour tendre ! Tout pour rêver, tout à dix euros !
– Des pochettes d’amour tendre ? Donnez m’en une. Voici dix euros.
– Voilà. Merci, madame. Au revoir
La dame s’éloigne et le marchand reprend :
– Calendriers nouveaux, ! Ciels étoilés ! Écharpes de brume…
François Delivré et Hélène Reuss
D’après un texte de Giacomo Leopardi