L’arbre
Jadis au sein d’une forêt je naquis.
De tendres mains protégeaient ma croissance
Verts feuillages et mousse humide
Je ne comptais pas les jours.
Plus frêle qu’un roseau, ma race royale
Ignorait les fracas et les chutes
Tonnerre d’avril et pluie de mai.
Leur son étouffé, inaudible
Caressait ma chair vive d’arbre sacré.
Je n’ai pas, sachez-le, gardé de trace obscure
Des coups les plus profonds au jeune et tendre bois
Nœuds noués à même la matière, gênes
Richesses d’un bois aux fortes senteurs
Puis vint la force et peu à peu
Intrigué par l’épaisseur des mystères
Par mes yeux affamés tout autour entr’ouverts
J’étudiai.
Vingt trois messagers porteurs de mes désirs
Par mes soins envoyés pour découvrir le monde.
Chacun de leurs voyages était pour moi plaisir.
Mais dans les bois rodaient de méchants rustres.
Ils vinrent autour de moi. Savaient-ils
Que sous mon tronc géant
Battait encore un cœur d’enfant ?
J’avais là suscité trop de convoitises
L’un d’entre eux, trop brave ou trop fou
Saisi d’un mauvais rêve ou trop plein de désir
Me porta la cognée. O sang de mes blessures,
Je t’ai vu ruisseler.
J’étais las et malade et me sentais mourir
Lorsqu’un enfant survint qui créa le silence
Referma mes blessures et donnant un baiser
Aux terribles entailles que l’on m’avait portées
Les caressa d’amour et grimpa dans mes branches
Cheveux et doigts de fée, lèvres qui se penchent.
François Delivré, 1988